Une profession de foi renouvelée

08-11-2021
Depuis maintenant 8 ans, je travaille avec les femmes indigènes de la région du Darién au Panama. Le Darién est une jungle impénétrable et dangereuse entre Panama et Colombie. On la considère comme l’une des zones les plus dangereuses d’Amérique centrale à cause du trafic de drogue omniprésent depuis de longues années et à cause de la violence qui en découle. C’est là que je travaille.

Le Darién est une jungle impénétrable et dangereuse entre Panama et Colombie. On la considère comme l’une des zones les plus dangereuses d’Amérique centrale à cause du trafic de drogue omniprésent depuis de longues années et à cause de la violence qui en découle.

C’est là que je travaille. Je connais toutes les artisanes qui ont réalisé les masques que je vous propose. Je les connais, et je connais aussi leurs mères, leurs sœurs et leurs enfants que je vois grandir au fil de cette belle histoire.
Je connais les noms de chacune d’entre elles, je sais si elles ont été malades, envoûtées, si le dernier né va bien ou si le fils aîné a mal tourné …
Je sais que cette enfant est surnommée « Gatita » parce qu’elle a toujours attaqué les autres enfants en les griffant, telle autre est « la Chomba » parce qu’elle a la peau noire. Et puis il y a Ilia, Cristian et tous les autres.

Je sais que dans cette famille, un des fils est en prison, tombé pour avoir tenté de passer de la drogue vers la ville. Parfois, plusieurs hommes de la famille sont emprisonnés et la situation économique est compliquée pour celles qui restent avec les enfants à charge. L’argent des masques est le bienvenu !

Je sais aussi combien de temps il faut pour aller d’un village à l’autre en pirogue, si le moteur ne lâche pas pendant le trajet … Je sais même comment les crocodiles procèdent pour renverser une pirogue.

Parfois, j’arrête de courir, de chercher des clients, de monter des projets, je regarde ce qui m’entoure et je prends conscience que mon aventure est assez extraordinaire. J’en prends conscience aussi parce qu’on me le répète.

C’est difficile de prendre du recul.

Mes amis du Panama, tout d’abord, me font remarquer sans cesse que ces masques étaient méconnus jusqu’alors, car la culture Embera et Woonaan reste cachée. Les Emberas et Woonaan vivent éloignés des villes, dans la forêt profonde.

Ethic & Tropic a permis de découvrir ces merveilles et de les sauver, car la production était moribonde, nous avons aussi permis de développer la créativité et le sens artistique de ces merveilleuses artisanes. Les masques aujourd’hui sont différents de ceux  découverts il y a huit ans.
Les masques étant destinés aux rituels de guérison, ils sont toujours brûlés après avoir « dansé » et les rituels de guérison, même s’ils restent très ancrés, se font progressivement de plus en plus rares et de plus en plus simples ; le chamane est supplanté par le médecin.

 

Et puis il y a cette relation exceptionnelle que j’entretiens avec les tribus indigènes. Et là aussi ce sont mes amis au Panama qui insistent : personne d’autre ne l’a fait auparavant.

Personne n’est allé au fin fond de cette forêt dense pour les rencontrer et personne n’a été accepté par ces tribus. Au Panama, c’est plutôt la défiance et l’indifférence qui caractérisent les relations entre indigènes et non-indigènes.

Je loge dans les huttes avec les familles, je voyage en pirogue comme eux, je mange la même chose qu’eux. Je me suis fondue du mieux que j’ai pu dans leur quotidien et j’ai tellement appris. Je leur en suis tellement reconnaissante.

Je suis devenue plus dure aussi probablement. Car lorsque j’ai entrepris ce projet j’ai lutté pour y arriver,  trébuchant quelquefois sur des personnes qui ont tenté de m’en dissuader de façon peu amicale. C’est la jungle du Darién. Que va faire là-bas une femme, de surcroît une étrangère, toute menue et un peu kamikaze ? Cela ne m’a pas découragée.

Côté européen, il y a parfois une certaine incrédulité vis-à-vis de ce projet. La relation entre exploitant et exploité, colon et colonisé, semble hanter quelques esprits qui suspectent mon travail de ne pas être équitable. Heureusement cela n’arrive pas souvent, mais collaborer avec les indigènes sans être une ONG vous expose à être parfois suspectée de mauvaise foi et cela me met en colère. Je propose à ces personnes de m’accompagner pour se faire une idée de ce qu’il y a en amont de ces masques !

Par ailleurs, je ne suis pas ethnologue! Je n’ai donc, pour certains publics érudits, aucune légitimité à parler de ce que je vis.

C’est la littérature qui m’a conduite au Panama. Et cette histoire est bien un roman, un roman d’aventures.

Et j’aime bien finalement la profession d’aventurière !

Les indigènes eux ne se sont pas questionnés. Méfiants au début et un peu distants, nous avons évolués ensemble, appris à travailler et à nous apprécier mutuellement.

Aujourd’hui je crois que si je ne peux pas voyager aussi souvent que prévu, comme ça a été le cas cette année à cause de la pandémie, je leur manque, tout comme ils me manquent.

Les masques Ethic & Tropic sont tous fabriqués au cœur de la jungle du Darién par des femmes.
Ils sont réalisés de façon traditionnelle, mais les techniques de tissage évoluent grâce à la créativité des femmes et à leur sens artistique. Nous produisons aujourd’hui d’authentiques pièces d’art aux motifs précolombiens.
Ces femmes travaillent chez elles, librement et je me rends personnellement dans les villages pour récupérer les commandes, je paie en espèce chaque artisane, individuellement.

À chaque voyage, j’achète toute la production. Cela a d’ailleurs mis quelquefois mon entreprise en difficulté car je ne peux jamais prévoir le nombre de pièces réalisées.

Je contrôle la qualité et le travail. Je veille à ce que toutes les teintures utilisées soient bien des teintures naturelles élaborées avec les plantes que l’on trouve dans la forêt. Le matériel est également végétal.

Les masques sont nettoyés et soumis à un traitement phytosanitaire avant de quitter l’isthme car vous serez ravis d’apprendre que lorsque je les acquiers,  il est fréquent d’y trouver de gros insectes ainsi que des larves ! Et oui … Je suis sûre que vous n’en voulez pas chez vous !

Je travaille seule depuis huit ans, entourée d’amis et de bonnes fées.

Merci à elles/eux!
Merci à vous aussi d’être là et d’apprécier cette drôle d’histoire.